« Il était une fois Max »
Il était une fois, dans une PME de la région lyonnaise, Max, un électricien vraiment bon dans son métier.
Max adore ce qu’il fait et il le fait bien. Cela fait 5 ans qu’il est salarié de son entreprise, son supérieur est très content de lui et ses entretiens annuels d’évaluation sont excellents chaque année. En gros, Max est le salarié rêvé : il maîtrise son activité, il fait correctement son travail et pour couronner le tout c’est un salarié exemplaire : aucune absence, aucun retard, il aide ses collègues et est investi dans son entreprise.
A son entretien annuel de la 5ème année, son manager lui propose d’évoluer. Il est tellement bon dans ce qu’il fait qu’il doit pouvoir encadrer des personnes faisant le même travail que lui. Max n’est pas certain que ce soit le bon choix. Lui ce qu’il aime et ce qu’il maîtrise, c’est la technique. Il refuse alors cette proposition d’évolution. L’année d’après, Max demande une évolution salariale.
Cela fait 6 ans maintenant qu’il est dans cette entreprise, les retours le concernant ont toujours été élogieux et il pense que c’est mérité. Oui mais voilà, même si son Manager est d’accord avec lui, Max se trouve déjà sur la fourchette haute de la grille salariale mise en place dans l’entreprise. Si cette augmentation lui est accordée, alors cela va créer un déséquilibre dans l’équipe de technicien et ça, la société ne peut pas se le permettre. Si cela vient à se savoir, c’est la porte ouverte à toutes les revendications ! Non vraiment, la seule façon que Max aura d’évoluer en termes de salaire, c’est d’accepter la proposition d’évolution vers un poste avec de plus de responsabilités, l’encadrement d’une équipe et bien sûr, moins de technique pour qu’il ait le temps de mener ses autres missions à bien.
Trois moi plus tard, Max obtient le poste de Chef de Chantier et devient manager d’une équipe de 5 électriciens, qui était ses collègues auparavant. Mais ce point ne pose pas de problème. Il était reconnu par ses collègues pour ses compétences. Tous sont ravis que ce soit lui qui ait évolué, il est pleinement légitime dans ce rôle. Max prend ses marques petit à petit, il découvre des nouvelles missions et cela le stimule intellectuellement. Il sort de la technique pure, c’est bien aussi de prendre un peu de hauteur parfois. Il n’a pas eu de formation à sa prise de poste. Lui et son Manager étaient d’accord sur ce point, il maîtrisait suffisamment son métier d’électricien pour pouvoir répondre aux attentes qu’à la société envers lui aujourd’hui.
Les semaines passent et Max est amené à faire face à ses premières difficultés en tant que Responsable. La veille, le Chef de Chantier est passé pour vérifier l’avancée des travaux et il a des reproches à faire sur le comportement de son équipe. Un des électriciens ne portait pas l’ensemble de ses Equipements Individuel de Protection (EPI) et à 14h00, ce même salarié sentait l’alcool. Max tente de défendre Louis, un collègue qu’il apprécie beaucoup, mais cela ne convainc pas le Chef de Chantier et pour lui, cela mérite un recadrage. Après tout, c’est son rôle maintenant en tant que Manager !
Max se rend donc sur le chantier pour discuter avec Louis. L’équipe est au complet, et s’attèle à la tâche. Le chantier avance mais a pris quelques jours de retard, rien d’inquiétant, cela arrive…
- « Tiens Max qui sort de son bureau, c’est sympa de venir voir tes anciens collègues. Tu nous as manqué hier lors du déjeuner, on a fêté le diplôme du fils de Laurent ».
Voilà tout s’explique, ils ont juste bu un verre au déjeuner comme on a pu le faire à d’autres occasions. Cela ne nous a jamais empêché de bosser correctement ensuite. Ça, c’est fait.
Plus qu’à aborder la question des EPI… Max est moyennement à l’aise sur le sujet car il sait très bien, qu’en réalité, il est parfois plus facile de travailler sans son équipement qu’avec. Lui-même avait tendance parfois à « s’arranger un peu avec la sécurité » pour être plus efficace et aller plus vite.
– « Ouais désolé les gars, je viendrai la prochaine fois, j’avais la planning du mois prochain à terminer et je me suis un peu arraché les cheveux avec les congés qui arrivent. Je devais déjà le rendre y a 3 jours… D’ailleurs, je ne veux pas vous mettre la pression mais on a pris quelques jours dans la vue, faudrait rattraper ça. Et Louis, mets tes gants s’il te plait. Je sais que tu ne les aime pas trop mais c’est pour ta sécurité, le Chef est passé hier et tu ne les avais pas, il me l’a dit. »
– « Attends Max, ne sois pas relou, tu sais très bien que pour faire ce qu’on fait, avec les gants c’est n’importe quoi. Je ne peux pas être aussi précis et c’est beaucoup plus long. Donc si tu veux qu’on rattrape le temps perdu, lâche-moi avec ça ».
Le pire c’est qu’il a raison, je ne sais pas qui a choisi ces gants mais c’est vrai qu’ils ne sont pas adaptés. Allez c’est bon, au moins je lui ai dit, il va croire que je joue au Chef si j’insiste.
Max est mal à l’aise et ne sait pas quelle posture il doit adopter avec son équipe, il les considère toujours comme ses collègues mais il voit bien qu’une distance a commencé à s’installer. Il demandera conseil à son manager. En attendant, il doit se rendre à une réunion avec les autres Chefs d’Equipe pour faire le point sur l’avancée du chantier. C’est la 3ème depuis ce matin et il espère que celle-ci sera plus utile. Cela fait plus d’une semaine qu’il n’a pas réalisé un acte technique et cela commence à lui manquer. Ça ira mieux quand il aura rendu ce foutu planning.
A peine arrivé à la réunion, son homologue côté peinture le prend à partie.
« Bon, Max, tu fous quoi avec le planning du mois prochain ? Je dois anticiper ma main d’œuvre, savoir si je fais appel à de l’intérim ou pas ? Est-ce que tes gars auront fini ou pas ? ».
« Oui oui c’est bon, j’ai le planning avec moi là. Semaine 36 c’est ok pour que les peintres prennent le relais. Nous on aura fini et on commencera un nouveau chantier, ils ont besoin de nous à Vénissieux ».
Le reste de la réunion portera sur les futures vacances des uns et des autres. Encore du temps perdu…
Cela fait maintenant six mois que Max occupe son nouveau poste, il n’est toujours pas à l’aise dans son rôle et se demande s’il n’a pas fait une erreur. Il a tenté d’en discuter avec son manager mais il doit « savoir se responsabiliser, c’est aussi ça le rôle d’un Chef d’Equipe ». La technique lui manque de plus en plus. Il savait qu’il en ferait moins mais là, cela ne représente plus qu’une part anecdotique de son quotidien.
Il vivra encore plus mal les six autres mois. Les chantiers électriques dont il a la responsabilité prennent du retard, son équipe est stressée, Louis a même quitté la société. Pour le moment il n’a pas réussi à le remplacer. Il avait trouvé quelqu’un mais le mec est parti au bout de 5 jours prétextant une désorganisation totale.
L’heure de son entretien annuel arrive. C’est la première fois de sa carrière qu’il sera aussi mauvais. Il n’est clairement pas à la hauteur du poste, tout le monde s’en rend compte et s’en plaint. Lui ne s’y retrouve pas. Il passe trop de temps sur de l’administratif et ne fait plus de technique. Il a l’impression de perdre son savoir-faire. La sentence tombe, il sera en probation l’année à venir et s’il ne s’améliore pas dans son poste, il risquera une rétrogradation. Finalement, ce serait un moindre mal pour lui. Il retrouverait son poste d’avant. Il était bien sur son poste d’avant. Le problème ce serait l’équipe. Leurs relations se sont dégradées et il n’est plus autant légitime qu’avant.
Finalement Max se rend compte qu’il ne s’épanouit vraiment pas. Pire, il est tombé malade et a eu le premier arrêt maladie de sa vie. «Ça rend fragile des responsabilités» lui a lancé Laurent à son retour. Crétin, si tu savais comme tu es bien là où tu es…
Le téléphone personnel de Max sonne. D’habitude il ne répond pas pendant ses heures de travail mais cette fois il fera une exception. « Bonjour, je suis Claire ROYANT de la société ELEC’PLUS, je viens de consulter votre CV en ligne et j’ai une offre à vous présenter. Je ne sais pas si cela vos intéressera car je vois que vous êtes passé manager récemment. J’ai un poste d’Electricien à vous proposer ».
Max retrouve le sourire. Oh si, ça m’intéresse…
Fin.
***
Cette histoire est une pure fiction, les personnages et les sociétés n’existent pas. Ou presque…
Certaines situations ont été volontairement poussées à l’extrême mais finalement, est-ce si éloigné de la réalité ?
Le vrai problème de base dans cette histoire est un problème lié à l’évaluation au sens large : évaluation des compétences comportementales et évaluation des affinités motivationnelles.
On ne peut pas faire évoluer quelqu’un à un poste parce qu’il est bon dans ce qu’il fait. Nous devons le faire évoluer parce qu’il sera bon dans ce qu’il fera. Et il sera bon parce qu’il aura envie d’être à ce poste et parce qu’il aura les compétences pour en assumer les contours.
Toute proposition d’évolution doit être précédée d’une évaluation afin d’être certains que le profil identifié est le bon. Et si ce n’est pas le cas ? Pas de problème ! Il faut accepter que nous ne puissions pas faire évoluer tout le monde, pas dans le sens hiérarchique du terme en tout cas. La personne identifiée continuera d’être un bon technicien. L’entreprise a besoin également de ces profils et elle pourra continuer de le faire progresser sur la partie technique, afin qu’il développe encore son savoir-faire tout en le fidélisant.
Vous l’avez reconnu, c’est Le Principe de Peter (the Peter Principle en V.O.)
« Dans une hiérarchie, tout employé à tendance à s’élever à son niveau d’incompétence ». Voilà comment résumer ce principe en une phrase !
Et en découle directement un autre fait : tout poste sera, un jour, occupé par un incompétent… Simple question de logique.
Principe un tantinet provocateur ? Et pourtant Max n’en est-il pas l’archétype ?
Ne laissez pas le principe de Peter atteindre votre entreprise : ensemble nous trouverons forcément des pistes de réflexion et des solutions !