Focus sur les heures supp’ de la Loi Travail
Alors que la France se soulève (mais sait-elle réellement pourquoi et pour quoi ?) contre la Loi Travail (appelée également Loi El KHOMRI), et que le projet est en cours d’adoption devant le Parlement, l’une des mesures phare portant sur la rémunération du travail est particulièrement intéressante.
Déjà car elle touche à des sujets sensibles et fondamentaux de notre législation : la durée du travail et la hiérarchie des normes.
Ensuite, car elle fait écho à des disparités profondes avec certains de nos voisins européens, du moins pour les plus compétitifs d’entre eux…
Enfin, parce que c’est la disposition (le fameux article 2) la plus commentée.
Avant d’entrer dans le cœur du sujet, précisons tout de même de quoi l’on parle et pourquoi l’on s’écharpe !
Le projet de la loi Travail sur la durée du travail et les heures supplémentaires
♦Aujourd’hui, c’est dans le Code du Travail qu’il faut se pencher pour trouver la législation en place : les heures supplémentaires sont majorées de 25 % pour les huit premières heures, puis de 50 % pour les suivantes, dans la limite de 48 heures par semaine [Durée légale hebdo maximale].
Par ailleurs, il est possible de déroger à cette règle et baisser à 10 % maximum cette rémunération du temps de travail effectué en sus en cas d’accord d’entreprise ou de branche. Les heures supplémentaires sont alors décomptées à la semaine, un an maximum.
Sachant que, dans la hiérarchie des normes, aujourd’hui l’accord de branche prime sur l’accord d’entreprise.
♦Dans le projet, le texte prévoit que l’accord de branche ne s’applique qu’« à défaut », soit quand il n’y a pas d’accord d’entreprise. Cela signifie que l’accord d’entreprise pourrait primer sur l’accord de branche, généralement plus avantageux. Quant au décompte des heures supplémentaires, et donc leur paiement, il pourrait intervenir jusqu’à trois ans plus tard, mais seulement si un accord de branche le permet.
Ce qui bousculerait la hiérarchie des normes actuelle.
Pourtant, depuis 2008, l’accord d’entreprise détermine déjà le contingent d’heures supplémentaires, la répartition et l’aménagement des horaires et les entreprises peuvent déjà négocier une réduction de la majoration des heures supplémentaires à 10 % contre 25 % ou 50 % en l’absence d’accord.
Au-delà du temps de travail de base (35 heures), c’est bien un droit à « une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent ».
Néanmoins, en dépit des arguments des opposants arguant que cela pousserait les employeurs à baisser systématiquement le taux de majoration des heures supplémentaires, posons-nous la question de savoir ce qui est le plus fondamental.
Et il est évident que la situation de la France à l’heure actuelle ne permet pas de douter qu’il faut créer de la richesse, devenir plus compétitifs et aider les entreprises à gagner en productivité. Et, en filigrane, tenter de trouver des solutions pour baisser le taux de chômage ou plutôt générer de l’emploi pour toutes les personnes n’en ayant pas à ce jour.
Guignons sur nos voisins européens !
Lors de l’étude menée par COE-REXECODE en 2014 sur des données collectées en 2013, il ressort que le souci ne vient pas du nombre d’heures travaillées par semaine, sensiblement le même que des pays voisins très compétitifs comme l’Allemagne ou la Suède. En revanche, ce document met en exergue que les travailleurs non salariés (indépendants, patrons) français travaillent énormément et bien plus que la plupart de leurs voisins !
Aussi, il faut bien aller chercher d’autres indicateurs pour rechercher l’excellence et s’améliorer.
Et parmi ceux-ci, les mesures portant sur les heures supplémentaires donnent des indications essentielles. Quelques exemples épars pour illustrer.
En Allemagne, qu’il faut bien prendre en exemple en raison des progrès énormes constatés en matière sociale depuis plusieurs années, le système en place est le suivant depuis la loi du 6 juin 1994 sur la durée du travail :
♦ La durée hebdomadaire du travail est déterminée par le contrat de travail ou par la convention collective applicable. Les heures supplémentaires sont ainsi celles qui sont effectuées au-delà du plafond fixé par le contrat ou la convention.
♦ La loi sur la durée du travail ne prévoit aucune compensation financière. Les heures supplémentaires doivent seulement être compensées par la réduction du temps de travail les jours suivants.
Ainsi, l’Allemagne donne de larges possibilités aux entreprises, sans que cela n’ait un impact dévastateur sur les emplois : taux de chômage tombé au-dessous des 5 % depuis 2014.
En Suisse,
♦ Les heures supplémentaires donnent droit à un supplément de 25 % mais une le contrat de travail peut prévoir une clause contraire. L’employeur peut, avec l’accord du travailleur, compenser les heures de travail supplémentaires par un congé d’une durée au moins égale.
♦ Le travail supplémentaire (considéré par rapport au temps de travail hebdomadaire) donne droit à un supplément de salaire d’au moins 25 %, à moins d’être compensé, dans un délai convenable, par un congé de même durée.
Et nous savons que les suisses votent toujours les mesures les plus favorables à l’économie de leur pays. Pour dernier exemple, le refus par référendum d’une semaine de congés payés supplémentaire.
En Finlande,
Ce pays est dans une situation de chômage proche de la France (environ 9,5 %).
Pour doper la compétitivité et lutter contre le coût du travail, au lieu et place d’une “Loi Travail”, un pacte social a été signé avec les partenaires sociaux. Le régime des heures supplémentaires n’a finalement pas été touché (il prévoyait de baisser de 50 % leur rémunération) mais le pacte prévoit une série de mesures défavorables aux salariés.
- travail à salaire égal, vingt-quatre heures de plus par an.
- renoncement à toute augmentation salariale en 2017
- pendant deux ans, augmentation des taux de cotisations retraite et d’assurance-chômage et celles payées par les employeurs baisseront d’autant.
- les fonctionnaires toucheront 30 % de moins par jour de congé payé pendant les trois prochaines années.
Evidemment, pour les confédérations syndicales qui se sont déjà prononcées en faveur du plan, c’est un choix difficile mais peut-être le seul pour tenter de sortir de la situation dans laquelle le pays se trouve.
Ainsi, pour les deux premiers pays, le paiement des heures supplémentaires n’est pas forcément la règle. Et pour cause, le règlement des heures supplémentaires, augmentées des cotisations sociales afférentes, constitue un coût non négligeable pour l’employeur, particulièrement en TPE ou PME (c’est à dire les plus nombreux). Et ce coût ne vient pas toujours compenser le travail réalisé.
Sans dire que les propositions de cette décriée Loi Travail soient les meilleures, ou les plus novatrices, elles ont le mérite de se caler sur ce que font certains de nos meilleurs voisins. Et surtout, elles tentent de réformer un système sclérosé.
Même si nous n’irons pas jusqu’à affirmer que “La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler” […], l’idée est bien de proposer autre chose que le système en place et qui ne permet pas aux petites structures de survivre. Ne faut-il pas préférer effectuer quelques heure supp’ en plus et conserver son emploi ?
Pour retrouver toutes les autres mesures du projet de la Loi Travail, lire ce document récapitulatif du Monde, synthétique et clair.
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